Ce soir, les masques tombent [Pv Yahely]

La nuit tombée, la foule s'était empressée. Devant un château aux portes drapées de tapis pourpres, des couples avançaient sur les marches de marbres. Les hommes, en costumes et cravates, proposaient leur bras à des épouses vêtues de robes somptueuses, luxueuses et dont le cou croulait sous un étalage de fortune excessif. Sur leur tête respectives, un masque vénitien était posé, cachant rides et cernes. Le moyen parfait pour paraître beau, et ce malgré l'éclairage digne du soleil lui-même. Lumières, spots : tout avait été sorti pour accueillir les invités mondains de la soirée toute aussi frivole. Les limousines, dans une farandole de couleurs aussi classiques qu'incongrues -noires, blanches, grises, roses, vertes-, s'enchaînaient pour déposer leur cargaison d'aristocrates. Depuis l'entrée grande ouverte, une musique d'orchestre incitait les nobles à rejoindre les festivités. Mais avant de folâtrer jusqu'aux premières lueurs de l'aube, ces gentilhommes devaient signaler leur présence au maître de cérémonie par l'intermédiaire d'un émissaire. Ce dernier, muni d'un stylo et d'une liste frôlant le sol, cochait chaque invité d'une croix rapide avant de leur prier d'entrer. Les nobles étaient ainsi faits ; il fallait constamment les supplier pour qu'il fasse la moindre action. Pourtant, les plus démunis, pauvres roturiers sans intérêts, devaient s'y plier sans contester.

A l'intérieur de l'édifice, la décoration était du plus bel effet. Comme dans les contes de fées pour enfants, il fallait descendre une longue estrade pour rejoindre la salle de réception. Une fois le pied posé sur la somptueuse tapisserie ocre, les yeux se rivaient sur le nouvel arrivant qui l'espace d'un instant devenait le centre d'intérêt des autres. Vaniteux et altiers personnages profitaient dès lors de cette attention, désireux d'entendre leurs louanges. Des tables étaient disposées sur les côtés, plaquées contre les murs ornementés de tableaux et de miroirs immenses. Un espace de danse étaient dès lors libéré au centre de la pièce sur lequel les gens restaient agglutinés en troupeaux, un verre de champagne dans la main. Pour le moment, la fête ne faisait que commencer ; personne ne semblait enclin à faire valser les demoiselles romantiques en quête d'amour. De longues colonnes torsadées de traits dorés, répertoriées au nombre de quatre, traversaient cette grande salle. Et sur l'une d'elle, un jeune homme s'était appuyé. Les yeux fermés, il arborait une expression impassible, les bras croisés. Pour cet événement, il s'était vêtu élégamment, trahissant un semblant d'effort pour se montrer convenable. Une cravate rouge comme le sang enserrait son cou pâle, cachant une chaînette depuis laquelle un anneau se balançait sous sa chemise blanche et son veston noir sans manche. Pantalon de toile noire et chaussures sombres, il avait tout d'un prince ténébreux, sibyllin. Toutefois, derrière son masque, impossible de discerner les traits qu'il dissimulait soigneusement. Il s'agissait d'un masque loup vénitien blanc surmonté d'une plume noire sur le côté gauche. Opaque, il cachait le haut de son visage du front jusqu'au nez. Seule sa bouche, formée d'un trait rectiligne, restait visible. Ses cheveux noirs encadraient son visage, bouclés et ordonnés.

- Regardez, c'est Sir Winterfeld, murmura-t-on soudain à sa droite, dans un manque évident de discrétion.

L'intéressé, dérangé dans sa réflexion, ouvrit les yeux lentement. A la vue de ses prunelles bleues aciers, les demoiselles qui l'avaient remarqué se mirent à glousser bruyamment. Toutes cachées derrière un masque, elles se dirigèrent sans gêne vers le noble qui gardait le silence, immobile. Les trois comtesses l'entourèrent, faisant voler les pans de leur robe autour de lui. Leurs décolletés carrés laissaient entrevoir sur chacune une poitrine volumineuse que Raphaël ignora. Quel manque apparent de bienséance.

- Pardonnez notre impertinence Sir Winterfeld, mais il est bien rare que veniez à ce genre de réception, fit remarquer celle qui avait signalé sa présence à ses amies. Nous sommes ravies de vous voir parmi nous.
- Tout le plaisir est pour moi, répondit le jeune homme avec courtoisie. Récemment, les affaires étaient difficiles et je n'avais hélas que peu de temps à me consacrer. J'espère que ces mesdames pourront m'en excuser.
- Bien évidemment, renchérit une deuxième en riant. Pourquoi ne pas nous tenir compagnie dans ce cas ?
- Je me vois obligé de refuser comtesse Von Alpenheim. Toutefois, profitez donc de la soirée. Je saurais vous rejoindre en temps voulu.

Et, sans se soucier des contestations des demoiselles, l'Impérial leur faussa compagnie. A cet instant, une annonce fut faîte à l'assemblée. Des trompettes, comme aux temps de la Renaissance, résonnèrent dans la salle, sommant le silence absolu. Puis, deux pages s'avancèrent, le visage crispé. Quoi qu'il se passe, ce devait être quelque chose de stressant vu leurs mines contrites. Or...

- Sa Majesté, Yahely T'yae, vient d'arriver. Veuillez offrir à Son Altesse un accueil digne d'elle.

Les autres convives ne se firent pas prier. Un à un, puis dans une cohue unie, ils applaudirent la femme qui franchissait le seuil de l'entrée, surplombant les aristocrates qui se faisaient maintenant tout petits. L'Impératrice venait d'arriver, ce n'était pas rien. En sa présence, même les plus pompeux des aristocrates faisaient profil bas, par crainte de son courroux. Et c'était justifié après tout. On invita la grande dame à rejoindre la foule. Certains allaient même jusqu'à s'incliner, en peureux qu'ils étaient. Ils avaient peur qu'on leur retire leur titre, leur richesse... Raphaël eût un soupir de mépris pour ces imbéciles. Lui, n'avait ni applaudit ni crié la gloire de leur souveraine. Planté au milieu de la pièce, il se contentait d'observer Yahely descendre les marches sur le tapis. Enfin, elle était arrivée. Les réjouissances ne faisaient que débuter.